16 octobre 2017 – Cash Investigation – Travail, ton univers impitoyable (émission dans son intégralité et interview de Sophie Le Gall )

Cash Investigation Travail ton univers impitoyable (1)

« Cash Investigation » présenté par Elise Lucet, a fait sa rentrée 2017-2018, mardi 26 septembre, avec une immersion inédite dans le monde merveilleux du travail. Et les chiffres sont alarmants : un quart des salariés partent travailler avec la boule au ventre, plus d’un tiers affirment avoir fait un burn-out et 43% ressentent des douleurs à cause de leur métier ! Derrière le succès de grandes entreprises se cachent parfois des méthodes de management qui peuvent casser les salariés.

Le magazine s’est intéressé à quelques-unes des plus incroyables réussites économiques. Il a notamment enquêté sur Lidl, l’un des géants de la grande distribution, 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 30 000 salariés en France. L’une des enseignes préférées des consommateurs est sortie du hard-discount en bouleversant les méthodes de travail de ses employés. Une révolution dans les magasins et les entrepôts que certains paient très cher sur leur lieu de travail.

« Les ouvriers du XXIe siècle »

Autre secteur, autre ambiance avec une plongée dans le monde de Free, fournisseur d’accès à Internet et opérateur de téléphonie mobile. Une image jeune, décalée, et son patron, Xavier Niel, qui déclare : « Les salariés dans les centres d’appels, ce sont les ouvriers du XXIe siècle. C’est le pire des jobs. » Et « Cash » révèle leur précarité : bien souvent sur des sièges éjectables, quand ils se retrouvent à la porte, bon nombre partent sans indemnités de l’entreprise.

A découvrir également dans ce nouveau numéro, des témoignages rares de salariés sous tension qui racontent leur quotidien fait de pressions. Après la diffusion de cette nouvelle enquête, Elise Lucet reçoit des invités, des responsables politiques et des spécialistes sur le plateau pour animer un débat d’actualité au moment où la loi Travail est le grand chantier automnal du gouvernement.


POUR VOIR L’EMISSION DE CASH INVESTIGATION DANS SON INTEGRALITE, CLIQUER ICI

Cash Investigation Travail ton univers impitoyable (2)


POUR VISIONNER L’EMISSION DE FRANCE INTER QUI INTERVIEW LA JOURNALISTE SOPHIE LE GALL QUI A ENQUETE SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ALARMANTES DE FREE ET LIDL, CLIQUER ICI

(Voir de 00mn00 à 1m56s puis de 7mn26s à 19mn30s)

26 juillet 2017 – Analyse très intéressante de Philippe Davezies sur les RPS et le pouvoir d’agir des salariés

825. Analyse de Philippe Davezies sur les RPS

A l’heure où on essaie de culpabiliser les travailleurs (ils seraient fragiles psychologiquement, ils auraient des problèmes familiaux qui leur apportent du stress au travail…) il est intéressant de prendre quelques minutes pour écouter un chercheur renommé en santé, Philippe DAVEZIES, qui nous parle du travail et du stress aujourd’hui.

Il est important que les travailleurs puissent s’exprimer, puissent agir sur leur travail malgré l’environnement de contraintes.

Pour regarder la vidéo, CLIQUER ICI

3 février 2017 – Organisation du travail : il faut favoriser une démarche collective et enfin ouvrir le débat dans le cadre de l’élection présidentielle

Organisation du travail CGT

Nous sommes fréquemment sollicités dans nos permanences sur la souffrance au travail et nous évoquons avec les salariés les raisons de cet état.
Nous travaillons sur la notion travail prescrit/travail réel et sur les réponses collectives que nous pouvons travailler. A ce titre, nous nous félicitons d’un article intéressant de Danièle Linhart qui aide à mieux comprendre certains éléments.

Danièle Linhart analyse l’individualisation et le sentiment de solitude des salariés qui résulte de l’évolution des organisations et du management des entreprises. La sociologue du travail appelle les élus à favoriser une « parole collective » sur ces sujets et juge que les questions liées au travail sont bien trop absentes du débat de la présidentielle. Interview.

Danièle Linhart est sociologue du travail, directrice de recherches au CNRS, et membre du laboratoire Cresppa-GTM. Ses travaux traitent de la modernisation des entreprises, des stratégies managériales, de l’évolution du travail, des nouvelles formes de mobilisation des salariés ou encore de la place du travail dans notre société. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages comme « La comédie humaine au travail » (2015, Erès), « Perte d’emploi, perte de soi » (Erès, 2009) et « Travailler sans les autres » (Le Seuil, 2009), un livre où elle analyse le sentiment d’abandon et de solitude des salariés confrontées aux nouvelles formes d’organisation du travail. C’est ce dernier ouvrage, très critique sur l’évolution du monde du travail dans les entreprises, qui nous a conduit à proposer à Danièle Linhart cette interview dans laquelle elle suggère aux représentants du personnel de favoriser « une parole collective » sur le travail.

1) Vous avez montré que l’évolution des modes d’organisation et de management entraînait un sentiment d’abandon chez certains salariés, et davantage de solitude au travail. Peut-on quantifier ce phénomène, le caractériser ?

Le quantifier, non ! Je suis sociologue du travail mais je travaille essentiellement sur le plan qualitatif en réalisant des enquêtes de terrain dans les entreprises et je ne suis pas un sociologue quantitativiste. Je n’ai donc pas de chiffres à vous donner. En revanche, je peux vous éclairer sur les processus qui ont amené ce sentiment de solitude que j’ai constaté lors de mes enquêtes. En France, l’évolution remonte à mai 1968 avec la remise en question de la logique taylorienne, de l’ordre social capitaliste dans les entreprises, qui ont connu alors trois semaines de grève générale, soit davantage que lors du Front populaire ! Les salariés demandaient alors plus de liberté et de dignité au travail, plus de reconnaissance de leurs efforts et de leurs compétences, davantage d’autonomie, etc. Ces revendications ont convaincu le patronat qu’il lui fallait trouver rapidement de nouvelles solutions pour sortir de cette crise sociale.

2) Quelles solutions ont-elles été trouvées ?

Le patronat a compris que l’individualisation de la gestion des salariés et de l’organisation de leur travail était une bonne solution. Cette individualisation permettait de casser les logiques collectives, de battre en brèche le sentiment de solidarité des salariés et l’idée d’un destin partagé et donc d’affaiblir les capacités massives de contestation. En même temps, le patronat pouvait arguer du fait qu’il cherchait ainsi à répondre aux aspirations qui s’étaient manifestées en mai 68, au travers de slogan comme « ne pas perdre sa vie à la gagner ». Les directions ont donc présenté cette individualisation comme le moyen indispensable permettant de prendre en compte la capacité de l’individu, sa qualité d’engagement, sa contribution personnelle, et donc aussi la récompense et la stimulation individuelle. À partir de la deuxième partie des années 70 jusqu’aux années 2 000, il y a eu toute une série de dispositifs visant la mise en place de cette individualisation.

3) Quels ont été ces dispositifs ?

Cela a commencé par les horaires variables : les salariés n’embauchent plus à la même heure et ne sortent plus au même moment, cela a commencé à effilocher la vie collective, tout comme d’ailleurs la recherche de la polyvalence, puisque vous n’êtes plus cote à cote avec les mêmes collègues, vous circulez dans l’entreprise. Ont suivi ensuite l’individualisation des primes puis des augmentations salariales, ce qui signifie une mise en concurrence des salariés entre eux. Nous en sommes arrivés aujourd’hui à la généralisation de l’entretien individuel de chaque salarié avec son N+1, entretien qui caractérise ce modèle que l’on voit partout, dans le public comme dans le privé.

Dans cet entretien, le salarié se voit fixer des objectifs individuels, personnels, avec au bout de six mois à un an une évaluation personnelle de la réalisation de ces objectifs et des performances du salarié. En moins de vingt ans, soit de façon très rapide, nous en sommes arrivés à une situation de très forte individualisation et de personnalisation de la relation de chacun au travail, qui s’accompagne d’une déstabilisation des collectifs. À travers cette évolution, le travail est passé d’une expérience socialisatrice commune où les gens avaient le sentiment d’être confrontés aux mêmes problèmes et difficultés et avaient besoin de trouver ensemble des solutions, à une logique dans laquelle le travail est devenu une vraie épreuve solitaire, individuelle, où chacun est en concurrence avec les autres, avec des objectifs personnalisés, où chacun doit faire la démonstration de ses qualités personnelles et parfois même intimes.

4) Des qualité intimes ?!

Oui, car l’individu est enfermé dans des défis qui sont de plus en plus personnalisés, et se trouve confronté à un management de plus en plus psychologisant. On voit apparaître cette psychologisation de la gestion des salariés dès les années 80 : il commence à être question de « manager les affects », de « gérer les émotions », etc.

On focalise sur la personne humaine, individuelle, la question du savoir, avec le « savoir être » : on demande à l’individu de faire la preuve de ses qualités personnelles d’adaptation, de réactivité, de capacité de remise en question, de « prise de risques », de « sortir de sa zone de confort » comme on le dit beaucoup désormais dans les entreprises. Ce discours focalise donc sur les qualités personnelles, psychologiques et donc intimes de l’individu. À tel point qu’apparaissent, dans les années 2000, de curieux intitulés dans les ressources humaines des entreprises comme « les DRH de la bienveillance », « les DRH du bonheur » ou les « responsables en chef du bonheur ». Les entreprises se focalisent sur la personne et non sur le professionnel, car le professionnel renvoie à des logiques collectives, que ce soit pour les savoirs, les métiers, etc.

5) Cette évolution vous paraît-elle concerner à la fois le bureau, l’usine ou l’entrepôt ?

Oui, les entretiens individuels, avec des objectifs personnalisés, concernent aussi bien les opérateurs sur chaîne que les cadres manageurs. Il s’est aussi développé, dans les années 80-90, la logique de la prestation de services en interne.

Les services sont les clients et fournisseurs les uns des autres. Dans les enquêtes que j’ai faites, j’ai vu des directions vouloir considérer que sur une chaîne de montage, chacun était le fournisseur de celui qui est en aval et le client de celui qui se trouve en amont ! On introduit donc dans la relation entre salariés une logique de client-fournisseur qui ne peut être que très individualisante (car cela conduit les salariés à avoir des réclamations les uns vis à vis des autres) et à l’opposé des logiques de solidarité, de complicité, d’entraide qui pouvaient exister auparavant.

6) Mais le sentiment de solitude au travail ne s’explique-t-il pas par un renforcement de la productivité demandée aux salariés ?

Il y a un autre facteur d’explication au sentiment de solitude au travail que je nommerais la « narcissisation ». On sollicite en permanence les salariés et -c’est très développé à l’égard des cadres- on les met au défi sur un plan narcissique, avec des injonctions de type : « Montre-nous de quoi tu es capable », « On mise sur toi », « Rends l’impossible possible ». Un autre chercheur m’a rapporté qu’un cadre s’était vu fixer comme objectif : « Etonne-nous ! » Ces objectifs plongent l’individu dans une situation où son narcissisme personnel est touché. ll n’y a plus de séparation entre le rôle professionnel et la personnalité individuelle.

7) Quelles sont les conséquences de ce management ?

J’ai entendu des responsables de service de haut niveau, à la sortie de leur entretien d’évaluation, se lamenter ainsi : « Ah, ils ont raison, je ne suis pas assez bon ». Ils ne disaient pas : « Je dois développer tel aspect de mes compétences », mais simplement : « Je suis mauvais ». À partir du moment où on titille les qualités personnelles, l’effet est redoutable. Au début, les salariés sont flattés, ils se sentent valorisés, ils ont envie de faire leurs preuves pour montrer qu’on a raison de leur faire confiance, qu’on peut compter sur eux. Mais très vite ils s’aperçoivent que c’est une quête sans fin. On leur dit : « Si tu as fait ça, tu peux faire plus, et si tu n’en es pas capable, c’est que tu es mauvais… » Mais il ne faudrait pas oublier un troisième facteur d’explication : j’ai parlé de l’individualisation, de la narcissisation, mais il y a aussi la politique de changement permanent entretenue par les entreprises.

8) Comment s’explique ce changement permanent ?

Il s’agit d’adapter l’entreprise au monde actuel qui évolue, il est vrai, très vite. Mais il y a aussi l’idée que ce changement permanent fait perdre aux salariés leurs repères traditionnels : si on prive les salariés de l’assurance et de la sérénité qu’ils peuvent avoir du fait de leur expérience et de leurs connaissances, ils seront plus enclins à travailler selon les méthodes, procédures ou protocoles qu’on veut leur imposer, auxquels ils se raccrocheront d’ailleurs comme à une bouée de sauvetage.

C’est un peu comme si maintenir les salariés dans un état de fébrilité allait les pousser à se dépasser. Cela enferme les individus dans des problèmatiques très personnalisées : ils essaient de s’y retrouver seuls, de se créer de nouveaux de repères, mais ils se sentent perdus et abandonnés. J’ai entendu des salariés me dire : « Ne me demandez pas de me situer dans l’organigramme, je ne sais plus ». Ces salariés ne parlent pas de ces problèmes car ils ont peur qu’on les prenne pour des défaillances.

9) Selon vous, les instances représentatives du personnel (CE, CHSCT, DP, syndicats) peuvent-elles agir pour lutter contre cette solitude, cet isolement ?

Ce qui pourrait aider ces salariés, c’est que se reforme dans l’entreprise une parole collective. Une parole qui sache décrypter tout ce phénomène et qui montre que ce que vivent les uns, les autres le vivent aussi. C’est important car j’entends très souvent des salariés en difficulté me dire : « Quand je regarde autour de moi, les autres ont l’air de s’en sortir et d’aller bien ». Mais c’est uniquement parce que tout le monde cache ce qui ne va pas en tentant de donner le change.

10) Mais qui peut produire cette parole collective ?

Les individus qui vont de plus en plus mal ont tendance à se tourner vers les syndicats pour demander de l’aide et cela prend parfois l’allure d’une défense personnelle où l’on cherche à mettre en cause un cadre harceleur. Mais les syndicats et les représentants du personnel devraient peut-être davantage s’efforcer de reconstruire des décryptages collectifs, avec une mise en discussion de ce qui se passe dans l’entreprise, afin d’amener chacun à comprendre les sources de cette anxiété, de ces malaises, de ce sentiment d’abandon au travail : « Qu’a apporté ce changement ? Pourquoi telle situation s’est-elle dégradée ? Quel bilan peut-on dresser de telle chose ? »

Cela suppose de pointer les organisations du travail et ce que j’évoquais tout à l’heure : la mise en concurrence, l’utilisation du narcissisme, etc. Les salariés ont besoin « de discuter du travail dans le travail ». Il appartient aux représentants du personnel de réactualiser une capacité collective à penser l’organisation du travail et à évaluer ses effets sur la santé. Cette confrontation des perceptions peut amener les salariés à prendre conscience que ce qu’ils vivent est en fait une dégradation collective des conditions de travail.

11) Avez-vous été témoin de telles initiatives ?

Non. Mais j’ai quand même assisté à des discussions syndicales d’où émergeaient des idées intéressantes. J’ai entendu certains dire : « Lorsqu’un salarié va à son entretien d’évaluation, on pourrait organiser en amont une réunion pour l’aider à se préparer ». Cette idée de préparation commune à plusieurs salariés, c’est une façon de casser l’isolement, de favoriser l’entraide dans un travail où tout le monde sait bien qu’il est interdépendant.

12) Les questions liées au travail vous semblent-elles tenir une place suffisante dans les débats liés à l’élection présidentielle ?

Pas du tout ! La question du travail dans le discours politique se réduit comme peau de chagrin, et depuis au moins trente ans ! On parle emploi, on parle salaires, on parle chômage, durée du travail, mais on ne parle pas du travail…

13) Et pourtant 2016 a été l’année des divisions autour de la loi travail, non ?

Oui, mais la loi travail concerne surtout la négociation collective et l’inversion de la hiérarchie des normes. On a donc parlé rapports de forces, niveau de négociation. Mais ce à quoi je pense quand je dis que le travail est absent du discours politique, c’est l’organisation concrète du travail : quels sont les principes qui déterminent les conditions de la mise au travail des salariés ? Cela, on n’en parle pas ! Les directions d’entreprise ont beau jeu de dire qu’il y a une rupture totale avec la logique taylorienne, que nous sommes dans une phase humanisante du travail, mais il n’y a pas d’analyse politique de la façon dont le travail est organisé aujourd’hui.

Est-ce normal d’être arrivé à ce stade d’atomisation et d’individualisation systématique dans le monde du travail ? Ces procédures et méthodes sont-elles rationnelles, efficaces, quelle est leur finalité sociale, permettent-elles un travail de qualité ? Ces questions ne sont pas débattues. Un enjeu fondamental, dont les responsables politiques devraient se saisir, concerne la question de la subordination juridique qui est une clause du contrat de travail. Quand vous entrez dans une entreprise, vous devez obéissance à vos supérieurs et à votre direction, y compris si vous êtes un professionnel de très haut niveau, avec des compétences très pointues, et que votre supérieur ne connaît rien à votre métier. C’est une réalité qui devrait être questionnée. Dans un monde de grande communication, marqué par un besoin de réalisation et d’épanouissement au travail, n’a-t-on pas ici une question politique à aborder ? À ce rapport de soumission ne pourrait-on pas substituer un rapport de négociation, de compromis, de co-élaboration de l’organisation du travail et de co-définition des missions de travail ? En clair : je suis un bon professionnel et je veux faire du bon boulot, donc pourquoi n’aurais-je pas mon mot à dire sur la façon dont on me fait travailler ?

14) Quelles vous semblent être les conséquences dans le débat politique des divisions liées à la loi travail ?

Ces conséquences me paraissent délétères. La loi travail, qui a été proposée par un gouvernement de gauche, contient des dispositions qui vont dans le sens d’un affaiblissement du rapport de forces, au détriment des salariés. La loi va dans le sens d’une plus grande négociation locale. Or négocier localement, ce n’est pas négocier là où les salariés sont les plus forts. Et ceci se passe à un moment où pèse sur les salariés une forte pression due au chômage mais aussi du fait des discours patronaux sur le thème : « Il n’y a pas d’alternative, il faut libérer les entreprises, amincir le code du travail et en finir avec ces garanties… » Que la gauche endosse ce discours, c’est quand même assez inquiétant !