13 mars 2019 – Intervention de Cédric Volait à la Commission Exécutive Fédérale des 12 et 13 mars 2019 (Loi Buzin Ma Santé 2022)

Il y a au moins deux objectifs qui traversent le projet de loi santé en cours :
– Premièrement, c’est : « Laisser une vraie liberté aux hospitaliers »
– Deuxièmement, c’est : « Faire de chacun d’entre nous des patients connectés ».

1) Concernant la liberté, bien entendu, ce ne sera pas plus de liberté pour les personnels. Ce sera plus de liberté pour les plus gros, et plus de soumission pour les plus petits.

Tout d’abord, ce qu’il est prévu, c’est plus de liberté pour ceux qui sont aux commandes des GHT pour aller beaucoup plus loin dans les fusions d’établissements et pour aller vers des GHT employeurs.
Pour les petites structures, on ne leur demandera pas leur avis, on leur imposera des fusions, à marche forcée, avec souvent les mêmes techniques de « chantage » : en créant des difficultés pour ensuite soumettre une aide financière ou faire miroiter un financement de travaux… à condition de fusionner.

Ensuite, c’est la liberté de donner au privé la possibilité de récupérer des pans entiers du marché de la santé. Et cela bien au-delà de l’idée de transférer certaines activités rentables. Le principe, c’est qu’on ne soigne plus le malade mais la maladie, en remettant en cause le travail en équipe, comme le principe de prendre en charge le patient dans son ensemble. C’est le développement de faiseurs d’actes isolés, le développement de travailleurs indépendants.

Donner plus de liberté, c’est aussi développer les hôtels hospitaliers à proximité des hôpitaux publics. On a vu récemment un reportage à Tours où un hôtel « Ibis » jouait ce rôle là.

Donner plus de liberté, c’est aussi avoir la société « Happytal », comme heureux en anglais, à côté du CHU de Nice ou du CHU de Grenoble, qui fournit des services pour les patients, leur proche, mais également pour les personnels hospitaliers (garde d’enfants, garde d’animaux, massages, soins du corps, restauration…).

Donner plus de liberté, c’est aussi installer des cabines de télémédecine (ou « télésoins » comme ils disent) dans des pharmacies, avec des assistants médicaux sous statut privé. Des entreprises de la grande distribution seront probablement intéressées pour développer ce type d’activités en mode franchisé. Sans oublier toutes les activités d’hospitalisation à domicile qui vont se développer.

Et pour faciliter l’activité privée la loi prévoit également l’obligation de passer des conventions sur des filières d’intérêt commun entre des centres hospitaliers et des établissements privés. Concernant les soins de proximité, il est demandé à des nouvelles structures privées, les CPTS (Communauté Professionnelle de Territoire de Santé), de coordonner l’activité publique et privée dans un territoire donnée entre les services médico-sociaux, les centres de santé, les maisons de santé, les équipes de soin primaire, les hôpitaux de proximité…etc…

2) Ensuite, pour comprendre la volonté de nous faire devenir des patients connectés, il faut la mettre en lien avec deux phénomènes :
– la volonté d’individualiser la médecine où c’est le patient qui va être responsable de sa maladie, et où il va être également question d’offrir de nombreux services personnalisés aux patients grâce à cette connexion non stop.
– il faut aussi avoir à l’esprit que les données des citoyens (dont font partie les données sur la santé) seront la ressource phare du 21ème siècle, comme le pétrole l’a été au 20ème siècle.

Des entreprises comme Google investissent beaucoup d’argent en ce moment pour capter ces nouveaux marchés où l’évolution des nouvelles technologies va leur apporter d’immenses possibilités et des gains de temps très important.

Le sens vers lequel ça peut aller est très inquiétant quand on voit la Chine par exemple qui est en avance sur nous sur l’intelligence artificielle et l’utilisation des nouvelles technologies :
– Alibaba, qui est l’équivalent d’Amazon en Chine, a vendu toutes les informations sur les citoyens au gouvernement chinois.
– On peut citer l’exemple du « Crédit Social Chinois ». Le Système de crédit social est un projet du gouvernement chinois visant à mettre en place d’ici 2020 un système national de réputation des citoyens. Chacun d’entre eux se voit attribuer une note, échelonnée entre 350 et 950 points, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur statut économique et social. Le système repose sur un outil de surveillance de masse et utilise les technologies d’analyse du big data.
On voit toutes les dérives du « techno libéralisme ». Et ce n’est pas de la science fiction, cela se passe aujourd’hui.
Le projet de loi santé en cours prévoit l’obligation des prescriptions dématérialisées. Les différents acteurs de santé pourront y avoir accès. Mais, ce projet de loi ne prévoit pas de protection pour ces données.

Ce qui est en marche c’est une avancée au pas de course vers une extrême rationalisation des choses, vers la volonté de « marchandiser » continuellement. Pour ne pas être ralenti dans leur grande entreprise, ils ont besoin de réduire à l’état de poussière tous les collectifs de travail comme toutes formes de démocratie locale. Le projet de réforme sur la fonction publique comme celui de la loi santé vont emmener des attaques de très grande importance contre le syndicalisme où l’objectif est de supprimer la très très grande majorité de nos élus et mandatés. Car aujourd’hui le syndicalisme est un des derniers outils à la disposition des travailleurs pour organiser un collectif ou pour les protéger.

C’est dans ce contexte, que nous avons mis en place un nouveau groupe de travail « Politiques de santé » dont la première réunion sera le 14 mars. Ensuite, nous ferons une première présentation du travail réalisé au CNF des 25 et 26 mars.

Nous aurons probablement besoin de travailler en lien avec d’autres collectifs ou groupes de travail car de nombreuses questions sont transversales.

A l’heure où ils ne veulent plus que les politiques fassent de la politique, où ils ne veulent plus que les syndicats fassent de syndicalisme, et que les travailleurs ne se posent plus de questions sur leur travail, où ils veulent faire des soignants de simples techniciens du soins, nous avons besoin plus que jamais de nous poser et de mettre en débat d’innombrables questions : sur la place de l’humain face aux nouvelles technologies, sur la question de la liberté dans les nouveaux modes d’organisation, sur l’intégrité et la dignité humaine, sur la marchandisation intégrale de la vie qui se profile, sur les revendications CGT sur les nouveaux métiers qui arrivent, sur les propositions CGT en matière d’organisation territoriale de la santé, sur l’appui que nous pouvons apporter à nos syndicats en terme d’analyses et d’outils…

Malgré la noirceur de l’avenir qu’ils tentent de nous imposer, nous devons garder intacte notre détermination et le sens de notre engagement, mais tout en faisant évoluer nos pratiques, notre fonctionnement syndical afin de gagner en efficacité, en proximité, en travail en réseau et en solidarité.

Si vous avez des observations à faire, n’hésitez pas, que ce soit sur la démarche, sur les orientations, sur les analyses, sur les perspectives de ce groupe de travail qui devra être un outil au service de la CGT.