13 mai 2014 – Encore un médecin du travail réduit au silence

La médecine du travail était une instance porteuse d’avenir. Mise en place en 1946, elle fut en lien dès l’origine avec la dynamique sociale des entreprises, son projet exclusivement préventif est confié à des professionnels, les médecins du travail jouissant d’un statut protecteur pour accomplir leurs missions.

La médecine du travail constitue pour les employeurs un risque assurantiel et juridique potentiel puisque le médecin du travail :
➤ signale le risque et le rend visible ;
➤ a un point de vue d’expert qui s’impose en droit ;
➤ incite l’employeur à mettre en œuvre la prévention du risque et à en réparer les effets sur la santé des travailleurs.

Depuis 2002, les nouvelles définitions jurisprudentielles de l’obligation de sécurité de résultat et de la faute inexcusable ont rendu, potentiellement, encore plus pénalisante pour les employeurs l’action du médecin du travail en générant des coûts supplémentaires.

Devant ce qu’ils considèrent comme un risque de mise en responsabilité et de surcoût, les employeurs ne restent pas passifs.

Dès l’origine en faisant accepter au législateur d’avoir la prééminence dans la gouvernance des services de médecine du travail notamment à travers la responsabilité de mise en place de ces services (L4622-1), les employeurs avaient introduit le ver dans le fruit.
Comment imaginer, en effet, que celui qui génère les risques et retire un bénéfice économique des atteintes à la santé puisse diriger l’institution chargée de les prévenir, du point de vue exclusif de la santé des travailleurs.
Cette « main mise », dès l’origine, sur les structures a permis pendant longtemps de maintenir les médecins dans un état de dépendance professionnelle et de faire de ce métier un exercice dévalorisé.

Pour les employeurs, « ce qui ne se voit pas n’existe pas ». Leur objectif de construire l’invisibilité des risques repose sur deux pratiques constantes : diminuer leurs obligations de traçabilité des risques professionnels et rendre muette la surveillance médicale de la santé des travailleurs au travail, voire l’instrumentaliser pour l’empêcher d’accomplir son rôle spécifique et la détourner à leur bénéfice exclusif.

La sentence tombée le 11 avril pour Jean Rodriguez, psychiatre au centre hospitalier public de Montfavet, près d’Avignon, va dans ce sens.

Ce médecin, fondateur de la première consultation sur la souffrance psychique au travail, a écopé d’un blâme. Une sanction prononcée par la chambre disciplinaire du conseil de l’ordre des médecins du Vaucluse, à la suite d’une plainte déposée par Zôdio, une enseigne de décoration détenue par le groupe Mulliez.

La condamnation concerne un « certificat médical qui fait le lien entre la pathologie présentée par la patiente et ses conditions de travail », explique Jean Rodriguez dans la revue Politis.

Pour Jean Rodriguez, qui a décidé de faire appel, ce blâme est un coup dur. « Le directeur de l’hôpital a interdit les groupes de parole et d’entraide que j’organise. » Pire, « tout le monde est informé de cette sanction, jusqu’au procureur de la République. S’il y a récidive, je risque la suspension d’exercice. » Or, en plus de la salariée de Zôdio, le médecin psychiatre suit plusieurs salariés d’un magasin Auchan d’Avignon, « la première entreprise française à se mettre en grève contre le harcèlement moral au travail », affirme-t-il. Les salariés concernés « sont en appel au tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) pour reconnaissance en accident du travail, ainsi qu’un employé d’Alinéa », autre enseigne du groupe Mulliez. « Il faut savoir que c’est le groupe Auchan qui a introduit en France la méthode de management dite “par la terreur” », poursuit Jean Rodriguez.

Plus de la moitié des médecins attaqués par un employeur modifient leur écriture médicale, jusqu’à faire valider par l’employeur la modification qu’il désire. Cela met en danger la médecine du travail. Les salariés sont les grands perdants de la multiplication de ces affaires. Car les médecins du travail et les psychiatres sont les « seules catégories d’experts reconnus pouvant établir le lien de causalité entre la pathologie et le travail, qui doit être direct et essentiel ». L’ampleur du mouvement a suscité l’inquiétude d’organisations syndicales. La CGT confédérale est montée récemment au créneau. Présent dans le Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), instance nationale de concertation entre partenaires sociaux et pouvoirs publics, le syndicat a prévu d’intervenir sur ce sujet le 19 mai et de demander l’audition du conseil national de l’ordre des médecins.

« Ces affaires révèlent une inadaptation réglementaire de la saisine et du fonctionnement des juridictions de l’ordre des médecins », assure le syndicat. Il évoque le « détournement de l’objet des plaintes » devant l’ordre, lequel a plutôt vocation « à juger de conflits entre un patient et son médecin ». La CGT, l’association Santé et médecine du travail et le Syndicat des professionnels de la santé au travail (SNPST) rappellent que les conseils départementaux reçoivent à tort des plaintes d’employeurs et que ces affaires relèvent de la compétence du ministère de la Santé. Cependant, les courriers adressés en février par la CGT à Michel Sapin, alors ministre du Travail, et à Marisol Touraine, son homologue à la Santé, sont pour l’instant restés sans réponse.

Pour voir également notre article du 17 mai 2013
« Des médecins du travail attaqués par des employeurs » CLIQUER ICI

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