19 juillet 2018 – Interview de Cédric Volait (Coordination Régionale CGT Santé et Action Sociale PACA et nouvellement membre de la commission exécutive fédérale) : « La lutte passe aussi par la bataille des mots »

981. Cédric Volait

Interview de Cédric Volait (Coordination Régionale CGT Santé et Action Sociale et nouvellement membre de la commission exécutive fédérale) : « La lutte passe aussi par la bataille des mots ».

François Mitterrand avait dit dans un de ses discours : « ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la sécurité sociale car ceux qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur. »

Nous y sommes, ils sont passés à la vitesse supérieure et avec des méthodes beaucoup plus perfides.

Nous sommes dans un contexte d’inversion du sens des mots de plus en plus fort pour faire accepter une politique inacceptable.

Dans son discours à Davos en février, Macron expliquait que le capitalisme créait de plus en plus de problèmes et d’inégalités. Cependant, loin de le remettre en cause, il expliquait qu’il fallait mieux expliquait aux peuples que le capitalisme c’était bon pour eux.

On voit bien que nous assistons à une bataille idéologique, et au delà à une bataille des mots de grande ampleur.

>> Différentes techniques sont utilisées :

1) Première technique utilisée >> L’inversion du sens des mots :

– Regrouper les structures et éloigner les centres de décisions permettrait de mieux répondre aux besoins
D’ailleurs à ce sujet, ils mettent en place les GHT au nom de la démocratie sanitaire alors qu’ils éloignent des centres de décisions des usagers et des hôpitaux de proximité, et donc la démocratie est en recul.
– L’autonomie des personnes âgées est devenue la prise en charge de la dépendance, qui a une connotation beaucoup plus négative. Une charge, c’est un poids, et quand on court et qu’on veut aller plus vite, il faut s ‘en débarrasser pour être plus léger.
– Les cotisations sociales sont devenues également des charges avec le même principe, il faudrait donc s’en débarrasser.
– Les réfugiés sont devenus les migrants. Les pauvres réfugiés qu’il faut aider sont devenus les méchants migrants, avec ce terme là nous sommes là quasiment sur de l’invasion qu’il faut stopper.
– Ils mettent en avant le terme de modernité à longueur de journée. Mais, c’est quoi la modernité pour eux ?
Personnellement, les exemples que j’ai vu ces derniers jours sont :
* des agents licenciés par SMS dans un EHPAD.
* une multitude de caméras installées dans un autre EHPAD et le nombre d’AS la nuit est passé de 4 à 3. Donc, si on se fit à l’évolution des effectifs, ce sont les caméras qui vont s’occuper des résidents.
– Un autre exemple, celui de « Parcoursup » : on fait de la sélection en appelant cela la démocratisation des universités. Ils remettent en cause le modèle de l’université universelle au nom de plus de justice. Et les études infirmières seront dès l’année prochaine impactée par la contre-réforme de Parcoursup.
– La souffrance au travail est devenue les RPS (terme plus positif dans ce cas là, banalisant la souffrance au travail)

2) Seconde technique utilisée >> L’oxymore :

On met deux mots antagonistes, contradictoires dans une même expression pour brouiller toute capacité d’analyse.
Exemples :
– « la flexi-sécurité » (on enlève des droits, on enlève des protections aux travailleurs, et c’est pour mieux les protéger).
– On a vu le terme « Capitalisme moral » utilisé pendant la campagne présidentielle de 2017
– On a vu aussi en 2017 Jean-Marc Borello de La République en Marche écrire un ouvrage intitulé « Pour un capitalisme d’intérêt général » (expression composée de deux termes radicalement opposés)

3) Troisième technique utilisée >> les slogans :

Exemple récent : « Pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous » >> Slogan de Macron sur les retraites

Le slogan = pour que les gens se concentrent sur la forme, sur une phrase facilement mémorisable, et du coup on ne s’intéresse pas au fonds et aux réels objectifs recherchés.

Décrypter les différentes techniques nous aide à mieux comprendre les manipulations incessantes du pouvoir en place. Il y a quelques jours, la ministre Buzyn a expliqué qu’elle veut développer le « 100% santé » pour plus de justice.

Pour rappel, il s’agit d’une promesse de campagne à la base du candidat Macron qui était de mettre en place le « zéro reste à charge » en matière d’optique, dentaire et audioprothèse.

Mais le « zéro reste à charge » est devenu le « 100% santé » qui fait beaucoup plus sexy.
Ce « 100% santé » est un leurre et n’a rien à voir avec le « 100% sécu » que nous revendiquons.

L’idée c’est de limiter certains dépassements dans certains secteurs mais parallèlement il s’agit d’effectuer un transfert de responsabilité de la sécu vers le secteur assurantiel privé et vers les patients.
Donc, c’est l’affirmation de moins de sécu et plus de complémentaires, d’une prise en charge par panier de soins et différentiés selon le niveau social des patients.
C’est la poursuite de l’attaque de la cotisation sociale par l’accentuation de la fiscalisation et de la prise en charge par les ménages.

De même, il y a quelques jours un amendement d’un député de la république en Marche (Olivier Véran) a été adopté en catimini pendant la nuit afin de supprimer les termes de « sécurité sociale » dans la constitution et les remplacer par « protection sociale ». Cette attaque va dans le sens de la fin de l’universalité de la protection sociale à la française, et c’est un pas de plus vers le modèle anglo-saxon. Et le pire, c’est qu’Olivier Véran a présenté cela comme un progrès puisque selon lui : « cet amendement vise à étendre le champ de la loi de financement de la sécurité sociale »… un peu comme quand ils nous disent qu’on ferme des hôpitaux pour « garantir l’accès aux soins ».

Modifier le nom des choses permet de mieux les détruire. Cet amendement serait un pas de plus vers la fin du principe fondateur de la sécurité sociale : « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».

Cet amendement a finalement été retiré devant le tollé soulevé par plusieurs députés et syndicats vigilants.

S’il y a eu un tel tollé, ce n’est pas par hasard. La notion de sécurité sociale est très précise au niveau juridique et impose le principe de redistribution. La notion de protection sociale est très floue et n’impose rien du tout. La sécurité sociale est un service d’intérêt général et non d’intérêt économique comme la protection sociale. La sécurité sociale n’est pas soumise à la concurrence, la protection sociale si.

Nous devons dénoncer et expliquer l’escroquerie intellectuelle de ce type de mesures, manipulations et changement de paradigme, tout en rappelant nos revendications.

Nous devons également renforcer notre implication dans la bataille des mots. Cela commence par arrêter de parler de dépendance, arrêter de parler de charges, arrêter de parler de migrants dans nos communications orales ou écrites et positiver davantage nos propositions.

On se laisse d’autant plus manipuler qu’on s’éloigne du fond. Il nous faut prendre du temps de réflexion sur nos concepts. Les luttes se gagnent sur la forme mais également sur le fond.

Ensuite, on dit souvent que la santé est une bataille idéologique, mais on ne parle jamais ou quasiment jamais des bénéfices de la santé.

On nous dit souvent que la santé est un coût, que la santé coûte trop cher, et nous sommes sur la défensive pour expliquer que la santé ne coûte pas trop cher.

Il faut communiquer de manière plus positive en mettant en avant :
– les bénéfices d’un hôpital et de personnels en bonne santé
– les bénéfices de gens qui se soignent et qui sont actifs dans la société
– le bénéfice des gens qui vieillissent bien

Tout ne se mesure pas et ne se quantifie pas mais le lien social c’est important.

La montée en puissance des attaques idéologiques, financières, organisationnelles nous impose une montée en puissance de notre riposte.

Il va être important de mettre le paquet pour s’attaquer à l’ONDAM qui est le prochain temps fort après le congrès fédéral pour faire bouger le curseur dans le bon sens. Et la bataille des mots aura son importance !