14 mars 2020 – Rapport d’actualité de la coordination régionale CGT Santé et Action Sociale PACA du 6 mars 2020 à Avignon

Démocratie et capitalisme

Rapport d’actualité, d’analyses et de perspectives – Réunion de la coordination régionale CGT Santé et Action Sociale PACA du 6 mars 2020 à Avignon

Ce rapport est construit différemment de d’habitude. Il a été rédigé en suivant un même fil conducteur, « le capitalisme », en déroulant ce fil tout au long du rapport afin de garder une cohérence et afin de relier les sujets les uns aux autres. A travers quelques thématiques, de manière non exhaustive.

1/ Evolution du capitalisme et radicalité :

Le néolibéralisme consiste en un processus de transformation continue des structures en vue du renforcement du pouvoir des dominants.
Son pouvoir, ses marges de manœuvres, ne cessent de progresser à tel point que nous sommes entrer dans une période d’intransigeance, le refus catégorique de tout compromis, de toute négociation…
Cet espace de négociation, de compromis, ouvert après la seconde guerre mondiale tend à se refermer complètement. On peut manifester, revendiquer, crier… rien ne se passe. Cela réduit et donc radicalise le choix des moyens. Une radicalité en appelle forcément une autre.
La loi travail avait montré des signes. Puis le mouvement des gilets jaunes est arrivé. Et là, on le voit avec les mouvements contre la casse de notre système de retraites.

2/ Capitalisme et totalitarisme :

Le philosophe Sheldon Wolin parle de « totalitarisme inversé » pour décrire le régime politique aux Etats-Unis. Cette analyse peut être appliquée aux autres « démocraties » actuelles comme la France.

Les caractéristiques de ce « totalitarisme inversé » sont les suivantes :
– ce n’est plus le politique qui dirige l’économie comme dans le totalitarisme classique mais l’économie qui dirige le politique, ce sont les intérêts financiers qui prennent le contrôle du monde politique,
– alors que le totalitarisme classique reposait sur la mobilisation des masses derrière un démagogue charismatique, le totalitarisme inversé repose sur la démobilisation et l’apathie politique des masses qui se retrouvent excluent de tous les processus décisionnels,
– Là où le totalitarisme classique méprisait la démocratie, le totalitarisme inversé porte aux nues la démocratie et en fait le modèle de gouvernance universel, celui qu’il faut imposer aux autres (même s’il faut exporter cette démocratie à coup de bombes ou en vendant ses bombes). Et on en voit toutes les conséquences au niveau mondial.

Dans ce cadre là, les populations sont en train de s’habituer à vivre dans une illusion de « démocratie ».

3/ Capitalisme, absence de politique et non choix :

Dans cette illusion de « démocratie », nous sommes face à des politiques qui essaient de nous rendre responsable de tout et qui ne sont plus responsables de rien !
En témoigne, ce que nous a dit le directeur général de l’ARS PACA, Philippe Demester à propos des Urgences de Sisteron : « Je n’ai pas de baguette magique ! ».
C’est un aveu de faiblesse !
C’est un aveu d’impuissance… oui d’impuissance publique !
C’est un aveu de soumission à l’ultralibéralisme et aux marchés !

Et que dire du rapport, remis fin décembre à la ministre de la santé, d’un député de la république en marche, médecin, qui préconise la fermeture des petits services d’urgences la nuit ! Quel aveu là encore de soumission aux marchés !

Dans la même logique, Edouard Philippe, dans son discours sur la réforme des retraites prononcé le 11 décembre, a expliqué :
« Le monde d’aujourd’hui, la France en tout cas, se caractérise par un niveau de chômage encore important, et ce depuis longtemps. Il se caractérise par le fait que les études sont de plus en plus longues, que les carrières sont parfois heurtées, que le temps partiel s’est développé. On peut à juste titre vouloir changer tout cela : revenir au plein emploi, limiter la précarité… Mais c’est le monde dans lequel nous vivons et il est sage de voir le monde tel qu’il est. Nous devons construire la protection sociale du XXIème siècle en prenant mieux en compte les nouveaux visages de la précarité. »

Quel aveu là encore d’impuissance du politique et quel aveu de soumission aux marchés.
Les politiques ne pourraient plus rien faire pour améliorer la situation des français.
Il ne fait que décliner le fameux « there is no alternative » (« il n’y a pas d’alternative ») de Margareth Thatcher.

Un mot sur la situation gravissime de l’état de la planète induite justement par ces non choix. Plutôt qu’investir des sommes colossales pour se faire peur les uns les autres, ou pour préparer des guerres, les différents pays devraient consacrer ces sommes là contre un ennemi commun que sont les crises climatiques en cours et à venir… et à la protection de notre support de vie commun.

4/ Capitalisme et nouvelles technologies :

Cette absence de politique est à mettre en lien avec la révolution conservatrice et libérale de la fin des années 70 où les néolibéraux se sont accaparés l’idée de progrès. Sous l’effet de la sidération, réduisant au quasi-silence les intellectuels de « Gauche ».
Toute avancée technologique est porteuse du meilleur mais est également porteuse du pire. C’set pourquoi il y a besoin de penser les technologies.

A l’heure où on nous parle de plus en plus d’humaniser les robots, on est en train de robotiser les humains et de déshumaniser les territoires !

L’ultralibéralisme s’appuie sur le développement des nouvelles technologies pour accélérer comme jamais les processus de rationalisation de tout par le biais du calcul, des algorithmes. Nous serions condamnés à subir toujours plus, et condamnés à ne plus pouvoir réfléchir tellement les choses vont vite.

Nous subissons un extrémisme de l’ultralibéralisme engendrant une impuissance politique générale.

Dans notre secteur d’activité, poussés par cette extrême rationalisation , il faudrait « produire » toujours plus de soins, avec toujours moins de moyens, avec des organisations du travail toujours plus déshumanisées, avec des droits toujours revus à la baisse, avec des espaces démocratiques toujours plus réduits… dans un maillage territorial toujours plus restreint à grands coups de fusions, mutualisations et concentrations !

5/ Capitalisme et marché des données de santé :

Dans ce cadre, rationalité, modernité, marchandiser rime avec patients connectés.
Oui, ils ont la volonté de faire de chacun d’entre nous des patients connectés. Et cela il faut la mettre en lien avec deux phénomènes :
– la volonté d’individualiser la médecine où c’est le patient qui va être responsable de sa maladie, et où il va être également question d’offrir de nombreux services personnalisés aux patients grâce à cette connexion non stop.
– il faut aussi avoir à l’esprit que les données des citoyens (dont font partie les données sur la santé) seront la ressource phare du 21ème siècle, comme le pétrole l’a été au 20ème siècle, et l’or au 18ème siècle.
Des entreprises comme Google investissent beaucoup d’argent en ce moment pour capter ces nouveaux marchés où l’évolution des nouvelles technologies va leur apporter d’immenses opportunités de profits.

Macron et son gouvernement sont en train de vendre la France, oui, mais ils sont en train en train de vendre aussi toutes les données de tous les français !

La santé ne doit pas être une marchandise. Et les données de santé relève de l’intimité de chaque citoyen ! Et c’est inacceptable qu’aucune protection n’est prévue pour protéger ces données dans la dernières loi santé.

Il va falloir qu’on ait rapidement des analyses approfondies et des propositions sur cette thématique qui va prendre de plus en plus de place.

6/ Capitalisme et réformes systémiques :

De nombreuses réformes ont été mises en place récemment ou sont en cours. Ce ne sont pas des réformes à la marge comme souvent mais ce sont des réformes systémiques :
– Réforme du code du travail
– Réforme du système de santé
– Réforme de la fonction publique
– Réforme du système des retraites

Dans un moment où les questions de démocratie sont au cœur des préoccupations des citoyens, on nous amuse avec un grand débat, et on fait passer des réformes de fond à coup d’ordonnances ou de 49.3.

Ils veulent en finir avec notre système de santé collectif, solidaire et curatif, pour mettre à la place un système individualisé et prédictif.

Sur la financement de la protection sociale, leur premier objectif était de faire basculer les cotisations de plus en plus sur la CSG. Leur premier objectif étant atteint, ils veulent désormais remplacer la CSG par l’impôt à la source.

Pour la fonction publique, ils veulent aller vers une fonction publique réduite aux seules fonctions régaliennes (comme la justice, l’armée, la police…) qui seront maintenue dans un statut mais plus rigide avec une forte application du principe hiérarchique et du devoir d’obéissance. Et le reste de la fonction publique, les 80% restant, seraient renvoyés vers des contrats et des conventions collectives comme cela se fait déjà en Allemagne.

Pour le système de retraite, il s’agit de mettre en place un système par capitalisation, consistant en des plans d’épargne retraite. Les travailleurs s’assureraient ainsi sur une base privée.

7/ Capitalisme et Coronavirus :

La problématique de Coronavirus monte au moins deux choses.

Tout d’abord, cela montre à quel point le gouvernement est prêt à se servir de la moindre diversion, du moindre contexte, pour faire passer ses textes nauséabonds.

Annulation des rassemblements de plus de 5000 personnes en milieu confiné, fermetures des écoles dans les foyers infectieux…, le gouvernement a annoncé, samedi, une série de mesures exceptionnelles pour freiner l’épidémie du coronavirus. Et au milieu de l’émotion suscitée par cet appel à la mobilisation générale, comme en catimini, le Premier ministre Philippe a dégainé le 49.3 pour imposer sa réforme des retraites.

Ensuite, le second point mis en valeur, c’est que s’il y avait des millions de malades et qu’il devenait nécessaire d’hospitaliser des milliers de personnes, l’hôpital public serait incapable de contrôler la situation. Et cela, c’est de la responsabilité du gouvernement, de celui-ci comme de ceux qui l’ont précédé.

Cela fait un an que tous les personnels hospitaliers tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer les Urgences saturées, les services hospitaliers à flux tendu, les sous-effectifs chroniques et les déserts médicaux. Rien n’y a fait ! Le gouvernement a poursuivi sa politique consistant à siphonner l’argent des hôpitaux pour arroser le grand patronat, parce que les profits, les dividendes et les cours boursiers passent avant la santé publique !

Et comble de tout, la bourgeoisie, le grand patronat feront tout pour faire payer cette nouvelle crise aux travailleurs. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déjà appelé à la solidarité avec les entreprises fragilisées par le coronavirus. Mais son objectif est d’assurer les dividendes des actionnaires et les revenus de la bourgeoisie, pas de geler les plans de licenciements ni les fermetures d’usines !

8/ Capitalisme, lanceurs d’alerte et courage de la vérité :

Dans ce contexte de chamboulements importants à marche forcée, la vérité est particulièrement malmenée. Ils transforment la politique en marché comme les autres… la réduisant à un simple marché des promesses et des opportunités… la légitimité de la parole donnée pose de plus en plus question.

Les poursuites, la répression que subissent les lanceurs d’alerte dans le monde entier est une menace de plus en plus forte sur la liberté de la presse et sur la démocratie. Nous avons besoin de médias indépendant pour publier des informations d’intérêt général, pour publier des informations sur les abus des pouvoirs politiques et économiques.

Le procès de Julian Assange vient de s’ouvrir à Londres. Journaliste australien de 48 ans, rédacteur en chef de Wikileaks, il a dénoncé de nombreux scandales. Pour cela aujourd’hui, il risque 175 ans de prison. Il s’agit d’un journaliste primé qu’on traite de manière pire que le plus grand des terroristes. Ce procès revêt des enjeux extrêmement importants, il peut sonner le glas du journalisme d’investigation et la prédominance absolu du secret. Il s’agit d’une guerre menée contre la vérité, contre le courage et contre la justice.

9/ Capitalisme et force de l’ordre :

La Police fait partie des secteurs maltraités par le néolibéralisme et par le gouvernement Macron au même titre par exemple que les enseignants ou les hospitaliers. Délabrement, manque de moyens, souffrance, suicides sont le lot quotidien de la police. Cela devrait créer des solidarités avec les autres secteurs.

Pourtant il y a une renfermement dogmatique sur la mission de défendre l’Etat et les institutions. C’est une grande fumisterie puisqu’aujourd’hui la police ne défend pas l’Etat mais elle défend les occupants de l’Etat, elle défend des gouvernements provisoires, elle défend une petite minorité et leurs avantages… Avantages dont elle profite nullement.

10/ Capitalisme et extrême droite :

40% des français affirment aujourd’hui partager les idées de l’extrême droite. Donc, cela dépasse largement les seuls électeurs. C’est une extrême-droitisation de la société. C’est à dire que, même si le score de l’extrême droite évolue doucement, les idées elles progressent plus vite. Et on voit des gens de droite traditionnelle ou de gauche partager de plus en plus ces idées.

Si on suit la tendance actuelle, le développement des idées d’extrême droite va continuer dans les prochaines années, poussé par les dérives du capitalisme.

Il y a beaucoup d’attente vis à vis des politiques. Pour autant, le politique n’a plus de pouvoir dans l’évolution du capitalisme actuel. Dans nos sociétés, c’est l’économique qui dirige le politique. Et les gens souffrent d’absence de concepts politiques, d’absence de choix politiques. L’économique est totalement indifférent aux problématiques sociales, démocratiques, locales…
Les gens souffrent de plus en plus, mais tout est fait pour qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils souffrent.

Si le RN n’est pas bon pour la démocratie, ce n’est pas en insultant ses électeurs (comme souvent on le voit) qu’on les ramènera vers la démocratie. Faire en sorte que celui qui souffre parce qu’il est malade soit accusé d’être la cause de sa maladie, c’est en faire un bouc émissaire – tout comme le RN fait des immigrés la cause d’une souffrance que ceux-ci subissent en général plus que quiconque.

Dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen se fait appeler le « Reagan français » et promeut l’ultralibéralisme qui constitue l’idéal du FN. Cependant, à mesure que les effets catastrophiques de l’idéologie ultralibérale sont de plus en plus visible, en particulier après la crise de 2008, la fille Le Pen complexifie cette tactique : elle profite de l’absence totale de discours politique sérieux sur le renouveau de la puissance publique de la part des partis de gauche, pour s’engouffrer la brèche et avoir un discours plus social, plus de « gauche ».

L’extrême droite prospère dans le désert des idées politiques, sur les dégâts causés par la société d’hyperconsommation, dans le désespoir et la régression qu’on nous présente comme inéluctable…

Ce qu’ils manquent aujourd’hui ce sont des perspectives.

11/ Conclusion provisoire :

Il y a clairement un ras-le-bol qui concerne de plus en plus de monde.

Dans l’immédiat, la lutte continue et la contestation prend différentes formes. En effet, la grève reconductible engagée depuis le 5 décembre 2019, difficilement soutenable pour une grande partie des travailleurs sur la durée, a progressivement évolué vers une lutte diversifiant ses modalisés d’action avec des rythmes différents.

Trop de syndicats, trop de militants, trop de syndiqués ne sont pas dans la lutte probablement par manque de maitrise des enjeux, par repli sur soi, par manque de perspectives et toutes autres raisons leur appartenant. Nous devons continuer le travail de conscientisation et de politisation qui peut prendre différentes formes.

Nous sommes dans une période de crise de civilisation, de perte de repère… dont les tenants du libéralisme se servent pour accélérer les choses et faire complètement triompher le capitalisme. Mais le triomphe du capitalisme serait l’échec de l’humanité !

Nous avons besoin de changer de directions, de bifurquer :

– en développant les interdépendances, les coopérations, les solidarités, des zones de résistance…

– en arrêtant d’instrumentaliser les divisions entre pauvres. Et en travailler au renforcement de l’unité entre travailleurs, et plus globalement entre citoyens. Il faut dépasser l’instrumentalisation de la guerre des pauvres et un système économique qui vise à protéger les 1% les plus riches. Les classes populaires doivent s’unir pour une redistribution des richesses. On voit des convergences de luttes se développer, il faut qu’elles s’accentuent avec le temps.
Il y a une tendance intéressante ces dernières semaines. On voit la classe moyenne et la petite bourgeoisie rejoindre la contestation (avocats, médecins…).

– en proposant des perspectives. Nous avons besoin de travailler sur des concepts et travailler sur des projets.
Il nous faut partager des analyses sur ce qui se passe mais également nous avons besoin de dépasser ces analyses et voir ce qu’on pourrait mettre en place comme contre-projet. Nous avons besoin de mettre en place une résistance pour ensuite la dépasser, et inventer, construire autre chose… proposer une autre société aux prochaines générations.

– en nous réappropriant l’idée de progrès. Depuis les années 70 et la révolution conservatiste, les néolibéraux nous l’ont volé.

– La politique, c’est créer du lien entre les gens… C’est de ne laisser personne de côté. Il faut refaire de la politique. Refaire de la politique, c’est avoir une vision de long terme et c’est avoir un Etat stratège.