16 juillet 2020 – Ségur de la Santé : Vers une accélération de la transformation de l’hôpital public en hôpital entreprise

1275. Soignants en colère

On entend certains syndicats expliquer que le Ségur de la santé est un accord « historique ». Non ! C’est tout sauf un accord historique ! Un accord historique est un accord où 50 ans après, 100 ans après, on s’en rappelle encore ! Et il y a eu des accords historiques dans l’histoire du pays. Ce n’est pas le cas ici.

Celui-là est un accord avec des augmentations de salaire mais à côté de nombreux reculs sont positionnés en tant que chantage, en tant que principe du donnant/donnant. Mais les personnels de notre champ professionnel n’ont rien à donner ! Ils donnent suffisamment de leur personne à longueur d’année. Nous sommes loin du « quoi qu’il en coûte » du mois de mars. A ce moment là, il était question de prendre soin des personnels hospitaliers, de prendre soin de l’hôpital public… Alors qu’aujourd’hui, pour chaque euro donné, il faudrait des contreparties. C’est pour cela qu’il parait plus pertinent de parler de mascarade ou de gros plan de com.

On ne peut que regretter le manque d’ambition des trois syndicats signataires en terme d’analyse politique et d’exigences revendicatives. On s’était mis d’accord avec eux qu’on ne lâcherait rien en dessous de 300 euros nets par mois. Pourtant, ils ont pris des ciseaux et ont coupé la corde que nous tenions tous. En effet, au bout de 3 réunions de négociations, ils ont indiqué au gouvernement que 200 euros leur conviendrait très bien. On ne dit pas cela dans une négociation, c’est complètement kamikaze. C’est se tirer une balle dans le pieds ! C’est un très mauvais signal envoyé au gouvernement et cela a mis fin aux négociations. Pourtant le rapport de force était en notre faveur et le gouvernement avait précisé qu’il était pressé et qu’il lui fallait un accord avant le 14 juillet, donc c’était eux qui avait un impératif de planning et c’est eux qui étaient sous pression. Avec un peu plus d’unité et d’ambition, on aurait pu obtenir beaucoup plus en termes de rémunérations, de dégel du point d’indice et faire retirer de nombreux reculs. Nous sommes trop habituer à une société de la « médiocratie », toujours « jouer petits bras » dans tous les domaines et malheureusement c’est ce qui s’est passé une fois de plus. Alors que les conditions étaient réunies pour avoir un vrai accord historique mais il aurait fallu que tout le monde tire dans le même sens. C’est un regret et il faudra en tenir compte dans nos prochaines stratégies.

Ensuite, il y a un sujet dont on ne parle pas ou très peu depuis le début du Ségur de la santé alors que c’est un élément essentiel, c’est que le Ségur constitue une accélération de la transformation de l’hôpital public en hôpital/entreprise.

En effet, ce lieu d’accueil, de prévention, d’éducation et de soins est transformé, de réformes en accords successifs, en lieu de financiarisation, de mise en concurrence, et de management à l’anglo-saxonne.

Ce lieu hospitalier devient petit à petit inhospitalier pour des personnels toujours plus fatigués, perdant le sens de leur travail et cherchant à y rester le moins longtemps possible.

Une entreprise cherche à exister avec des salariés qui doivent être les moins nombreux possible mais également les plus disciplinés possible, tout en se concentrant sur les activités les plus rentables, avec différents outils : en jouant sur le temps de travail, en jouant sur la flexibilité, sur le mode de gouvernance, sur la sous-traitance de certaines activités et sur la dématérialisation d’autres…

Alors, les gouvernants disent qu’ils ont compris le problème et sous couvert d’augmentation des salaires, induite par un rapport de force construit sur de nombreux mois et renforcé par l’actualité sanitaire, en profitent pour acter toutes une série de contreparties pour asseoir cette transformation. C’est tout le sens du Ségur de la santé.

Il s’agit de fissurer les limites entre le public et le privé au travers des augmentations de salaires consenties. Il s’agit aussi de fissurer les limites entre les titulaires et les contractuels : On l’a vu dans les augmentations de salaire mais on le voit également dans la transformation en cours de la prime de service en prime au mérite pour tous. Mais cet outil de management individualisé, s’accompagne d’un outil de management collectif qu’est l’intéressement collectif prévu dans l’accord afin de consolider ce management d’entreprise.

Après le « détricotage » du code de travail ces dernières années dans le privé et la volonté d’avoir un code du travail par entreprise négocié dans chaque structure, le Ségur de la santé accroît la flexibilité, affaiblit les 35h00, renforce l’utilisation des heures supplémentaires, valide des accords locaux spécifiques négociés dans chaque établissement, prévoit le morcellement de la formation comme ils morcellent les activités ou nos métiers…

Donc, il s’agit d’une transformation systémique où la question salariale constitue l’arbre qui cache la forêt ou la partie émergée de l’iceberg qui tente de faire oublier ce qu’il y a dessous.

Donc, l’une des questions majeures à se poser c’est : Des augmentations de salaire méritent-t-elle que nous fermions les yeux sur une accélération de la transformation de l’hôpital public en hôpital/entreprise ?

On répète à longueur de journée « La santé n’est pas une marchandise et l’hôpital n’est pas une entreprise ». Est-ce seulement un slogan de communication ou est-ce une boussole qui doit animer notre engagement, nos actions et nos décisions ?

Afin de mieux comprendre le sens des évolutions en cours, il est important de bien faire le lien entre le Ségur de la santé, La loi Ma santé 2022, la loi de transformation de la fonction publique et la récente nomination de l’ultralibérale Amélie de Montchalin (du monde de la banque et de l’assurance) en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques. Tous ces points sont reliés entre eux, tel un réseau, avec des interdépendances et au service d’une même idéologie dont la radicalité et les limites sont sans cesse repoussées.

Tout est découpé, tout est éclaté : les activités de nos hôpitaux, nos rémunérations, nos pratiques professionnelles. Donc, on voit bien que c’est l’individu qui lui aussi est découpé pour mieux le contrôler et pour mieux l’emmener là où ils veulent tout en lui donnant l’impression que c’est lui qui choisit. Cette servitude volontaire est un véritable fléau qui prend de plus en plus d’ampleur dans nos vies. Car au plus ils déplacent le curseur des limites de leur domination, au plus ils travaillent à l’élargissement de notre seuil de tolérance.

Mais leur faiblesse, c’est qu’ils ne savent pas contenir leur appétit de domination, et ils ne savent pas ne pas aller trop loin. Et c’est ce qui les perdra !
Car il y a toujours une goutte d’eau qui fait déborder le vase, une mesure de trop qui éveille et enflamme les consciences ! Et c’est ce qui va se passer !

C’est pourquoi, il est important de ne pas relâcher la pression et de continuer à porter les revendications des personnels avec détermination !

>> Ci-joint un article du Canard Enchaîné d’hier sur le Ségur de la Santé : CLIQUER ICI