9 octobre 2013 – Nous attendons toujours l’abrogation du recours à l’intérim dans la fonction publique

La situation :

L’utilisation de travailleurs intérimaires pour répondre aux besoins temporaires d’une administration était, jusqu’en août 2009, proscrit par le conseil d’État en application « du principe général selon lequel l’exécution du service public administratif est confié à des agents publics » (CE 18 janvier 1977). Depuis cette jurisprudence, les tribunaux administratifs avaient, à de nombreuses reprises, réaffirmé que le recrutement direct ou indirect de salariés de droit privé par une administration portait atteinte aux compétences du juge administratif et donc aux principes constitutionnels de dualité des juridictions.

Malgré cette jurisprudence constante, des administrations -notamment dans le secteur hospitalier- ont parfois fait appel à des sociétés d’intérim pour répondre à des besoins occasionnels voire même dans certains cas à des besoins permanents. Cet état de fait a servi de principal argument au gouvernement pour justifier l’article 21 de la loi de mobilité.
Sur le fond du sujet, rien ne justifiait une telle mesure car les administrations disposaient déjà de possibilités très étendues de recours à des emplois précaires pour accomplir des missions ponctuelles.

Ainsi, l’article 3 bis de la loi 84-16, créé par l’article 21, prévoit désormais la possibilité de recours à des intérimaires dans les cas prévus au chapitre 1er du titre V du livre II de la première partie du Code du Travail. Ces dispositions sont contraires aux articles 6, 6 quater et 6 sixties de la loi 84-16 qui disposent que ce sont des fonctionnaires ou des contractuels de droit public qui doivent assurer des missions correspondant à des remplacements et des besoins occasionnels ou saisonniers.

L’article 21 de la loi mobilité a en outre élargi les possibilités de recours à l’emploi précaire dans la fonction publique. Ainsi, la notion d’accroissement temporaire d’activité n’existait pas jusqu’ici dans la fonction publique. S’agissant d’une disposition inscrite dans le Code du Travail (L 1251-60), elle renvoie explicitement à la définition issue de l’accord national interprofessionnel du 22 mars 1990, transcrite dans le droit positif par la loi du 12 juillet 1990.
Sans rentrer dans le détail de l’abondante jurisprudence, on peut rappeler que l’accroissement temporaire d’activité correspond à des « augmentations accidentelles ou cycliques de la charge de travail » qui ne peuvent « être absorbées par les effectifs habituels ».

Cette notion est particulièrement floue et les juges de droit commun ont ainsi estimé que pouvaient constituer un accroissement temporaire d’activité, un surcroît de travail lié à la rentrée scolaire, une surcharge dans les services comptables au moment du bilan, l’accroissement momentané lié à des retards accumulés, etc.…

Dès l’adoption de la loi du 3 août 2009, le Pôle Emploi Etablissement Public Administratif a fait appel, sur ce motif, à des entreprises d’intérim. Toutefois, les juges considèrent de façon constante qu’une activité doit être « inhabituelle et précisément limitée dans le temps » pour être qualifiée d’accroissement temporaire.

Par ailleurs, même si le législateur n’a pu faire abstraction de la Directive Européenne 2008/104 du 19 novembre 2008 relative au travail temporaire, ni de la jurisprudence de la Cour Européenne de Justice sur l’égalité de traitement entre travailleurs, les règles applicables dans la Fonction publique dérogent partiellement aux règles de droit commun.
Ainsi, c’est le tribunal administratif, et non les juges de droit commun, qui examine les litiges entre le salarié intérimaire et l’administration utilisatrice.

D’autre part, l’article L 1251-62 du code du travail, introduit par la loi du 3 août 2009, prévoit que, si l’administration continue d’employer un salarié intérimaire après la fin de sa mission sans avoir conclu avec lui de contrat ou sans nouveau contrat de mise à disposition, ce dernier est réputé sous contrat à durée déterminée de 3 ans auprès de l’utilisateur. Cette disposition est restrictive par rapport au droit général qui dispose qu’un contrat non écrit est réputé à durée indéterminée.

Il ne fait aucun doute que c’est la pression des entreprises d’intérim, demandeuses, depuis des années, de l’ouverture de ce nouveau marché juteux, qui est à l’origine de cet article 21 de la loi mobilité.

De plus, le manque d’attractivité de certaines professions dans la Fonction publique, comme pour les infirmier-e-s, pousse les jeunes professionnels à s’orienter vers les agences d’intérim au détriment de leur inscription aux concours de la Fonction publique, et ce pour des salaires légèrement plus élevés.

De nombreux secteurs travaillent à flux tendu, ils ont recours à l’intérim ce qui met en danger la qualité du service public, car travailler chaque jour avec un nouveau collègue, qui ne connaît pas le service, accroît la responsabilité des personnels en place.
Par ailleurs, l’intérêt de cette mesure pour l’État et les collectivités territoriales se trouve, non pas dans des économies budgétaires (un marché d’intérim est 2 fois plus coûteux qu’un recrutement de CDD), mais dans l’abandon de leurs responsabilités d’employeur. Au lieu d’engager un nouveau plan de titularisation, il leur est possible de se débarrasser du problème en renvoyant la gestion de dizaines de milliers d’agents précaires à des entreprises privées qui sont connues pour se comporter comme de parfaits exploiteurs.

Pour la CGT :

L’abrogation de l’article 21 permettrait un retour à une pleine responsabilité des employeurs publics tout en assurant des économies budgétaires. Elle préviendrait en outre les conflits de compétence entre juridiction administrative et de droit commun qui ne manqueront pas de se faire jour dès les premiers contentieux.

Pour répondre aux besoins occasionnels ou saisonniers comme aux absences ponctuelles et ce dans les trois versants de la fonction publique, la CGT se prononce pour un recours exclusif à des fonctionnaires ou exceptionnellement des contractuels de droit public.

La mise en place d’équipes de suppléance composées de titulaires est une solution pour garantir la qualité du service public.